Demeure de Nasser au quartier de Bacos à Alexandrie

Gamal Abdel Nasser, né le 15 janvier 1918, au 18 rue Canawat (les Canaux), dans le quartier populeux de Bacos à Alexandrie, est le fils aîné d’Abdel Nasser Hussein. Né en 1888 dans une famille de fellahs (paysans) de Beni-Mor, un petit village de la Haute-Egypte, ce dernier a reçu une éducation plutôt sommaire qui lui a permis de devenir fonctionnaire dans le Service de la Poste à Alexandrie, avec un salaire qui subvenait difficilement aux besoins de la vie.

 

Gamal Abdel Nasser au cycle primaire

Inscrit d’abord dans une école maternelle à Moharrem Bey à Alexandrie, puis dans une école primaire à Al-Khattatba en 1923-1924, Gamal Abdel Nasser a rejoint, en 1925, l’école primaire Al-Nahassine à Al-Gammaleya. Hébergé chez son oncle paternel, il a vécu dans un quartier populeux du Caire pour trois ans au cours desquels il rentrait à Al-Khattatba pour y passer les vacances scolaires avec la famille. L’été suivant, en 1926, il a appris à son arrivée la disparition de sa mère. Elle venait de mourir quelques semaines auparavant mais personne n’avait eu le courage de lui annoncer la nouvelle qui, d’après l’entretien fait avec David Morgan, l’envoyé du magazine Sunday Times, l’a bouleversé ; il a même ajouté : « La perte de ma mère était en soi pénible, mais la perdre de cette manière constituait un choc qui a laissé en moi un sentiment que rien n’a jamais pu effacer. La tristesse et la douleur que j’ai ressenties durant cette période m’ont rendu très réticent à faire souffrir les autres dans les années à venir ».

Les trois premières années à l’école Al-Nahassine terminées, Nasser a été ensuite confié à son grand-père maternel, en été 1928, pour passer sa quatrième année du cycle primaire à l’école Al-Attarine à Alexandrie.

 

Gamal Abdel Nasser au cycle secondaire

Nasser au Lycée de Helwan

En 1929, Nasser a rejoint, en tant que pensionnaire, le Lycée de Helwan où il a passé une année avant d’être transféré un an plus tard, en 1930, au Lycée de Rasse Al-Tine à Alexandrie en raison de l’affectation de son père au Service de la Poste de la ville.

C’est à cette école que son esprit nationaliste a été formé. En 1930, le gouvernement d’Ismaïl Sedki a fait paraître un décret royal abolissant la Constitution de 1923, décision qui a provoqué les manifestations des étudiants proclamant l’indépendance de l’Egypte et le rétablissement de la Constitution.

Quant à la première manifestation à laquelle Nasser a participé, il a raconté : « Je traversais la place de Manshia à Alexandrie quand j’ai aperçu des affrontements entre un groupe de jeunes manifestants et les forces policières. Sans aucune hésitation, j’ai pris mon parti et me suis joint aux manifestants sans même savoir qu’est-ce qu’ils réclamaient ; j’avais senti que je n’avais pas besoin de me poser de questions : des gens du peuple bravaient les autorités, et je me suis, tout de suite, placé du côté adverse à ces dernières.

Pendant quelques instants les manifestants avaient le dessus, mais très vite les renforts, deux camions chargés de policiers sont arrivés sur place pour soutenir leurs collègues et ont foncé sur nous. Je me souviens, que dans une tentative désespérée, j’ai lancé une pierre. Ils nous ont rattrapés en un clin d’œil. J’ai essayé de m’évader mais en me retournant j’ai reçu un coup de matraque par un policier, suivi d’un deuxième en tombant par terre. La tête ensanglantée, j’ai été ensuite envoyé en garde à vue avec d’autres étudiants qui n’avaient pas réussi à s’évader à temps.

Dans le poste de police alors qu’ils soignaient mes blessures, j’ai demandé la raison de ces manifestations et j’ai appris qu’elles avaient été organisées par Misr Al-Fatah (Jeune Egypte) pour protester contre la politique du gouvernement.

Je n’étais qu’un étudiant plein d’exaltation en rentrant en prison, j’en suis sorti envahi par la colère. (Entretien de Nasser avec David Morgan, envoyé du magazine Sunday Times, paru le 18 juin 1962).

Gamal Abdel Nasser a évoqué cette période de sa vie dans son discours, prononcé le 26 octobre 1954, à la place de Manshia, décrivant les émotions qu’il a éprouvées lors de ces manifestations et expliquant comment elles l’ont marqué : « Aujourd’hui, en prenant la parole à la place de Manshia, je me sens comme emporté dans un passé lointain. Les souvenirs du combat d’Alexandrie auquel, jeune, j’ai participé avec mes concitoyens, de mes cris au nom de la liberté, de la dignité et de l’Egypte me sont revenus. Le colonisateur et ses suppôts nous avaient tiré dessus, tuant certains et blessant d’autres, mais de ces foules est sorti un jeune qui a goûté à la liberté et qui l’a savourée, un jeune qui a milité en sa faveur, criant en son nom sans en comprendre le sens mais en la sentant au fond de lui, dans son esprit et dans son sang. » Cette période à Alexandrie a été une période de mutation dans la vie de l’étudiant Gamal qui s’est transformé d’un manifestant à un révoltant, influencé par l’état d’effervescence dont souffrait l’Egypte à cause de la colonisation et de l’abolition de la Constitution. Importunés par son comportement, les responsables de l’école ont averti son père qui l’a envoyé au Caire.

Article intitulé « Voltaire, l’homme de la liberté », rédigé par Nasser

Il a rejoint le Lycée Al-Nahda, situé au quartier d’Al-Zaher au Caire où il a poursuivi ses activités politiques pour devenir le président de l’Union des Lycées Al-Nahda.

Alors qu’il n’était encore que lycéen, il avait commencé à s’intéresser à l’Histoire et aux sujets nationaux. Cette passion s’est reflétée sur ses lectures, qui ont porté sur la révolution française, Rousseau et Voltaire qui a fait l’objet d’un article, intitulé « Voltaire, l’homme de la liberté », rédigé et publié par Nasser dans le magazine scolaire. Il s’est imprégné des biographies de nombreux personnages illustres tels que Napoléon, Alexandre, Jules César ou encore Gandhi ; et a beaucoup admiré les Misérables de Victor Hugo et Un conte de deux villes de Charles Dickens. (Ouvrages consultés par Nasser au cycle secondaire).

Il s’est intéressé également à la production littéraire arabe et à ses auteurs Ahmed Chawqi et Hafez Ibrahim ; il a lu les biographies du Prophète Mohamed, des héros de l’Islam et de Moustapha Kamel. Quant aux pièces de théâtre, il a lu les pièces de Tawfiq Al-Hakim, notamment Awdat al-ruḥ (L’âme retrouvée), qui a évoqué la nécessité pour l’Egypte d’un chef réunissant le peuple et le portant à combattre pour sa liberté et pour la résurrection de la nation.

Fête théâtrale à l’école Al-Nahda où est présentée la pièce « Jules César »

En 1935, lors de la fête du Lycée Al-Nahda, Gamal Abdel Nasser a incarné le rôle de Jules César, le libérateur du peuple, dans la pièce de Shakespeare à laquelle a assisté le ministre des Connaissances de l’époque.

L’année 1935 a témoigné d’un grand dynamisme en termes de mouvement national égyptien où les étudiants constituaient une force consciente et active proclamant le rétablissement de la Constitution et l’indépendance. Le courrier adressé par Gamal Abdel Nasser à son ami Hassan Al-Nachar, en date du 4 septembre 1935, dévoile les sentiments qu’il dissimulait : « Nous sommes passés des lumières de l’espérance aux ténèbres du désespoir, nous avons repoussé les prémices de la vie et accueilli les cendres de la mort. Où est-il celui qui renversera tout ceci sens dessus-dessous et ramènera l’Egypte à son image première alors qu’elle dominait le monde. Où est-il celui qui engendrera une nouvelle descendance pour que l’Egyptien à la voix à peine perceptible, démuni de tout espoir, baissant la tête sans mot dire, laissant échapper ses droits et ignorant les manipulations dont sa patrie est victime soit éveillé à la voix haute, plein d’espérance, la tête levée, luttant avec courage et ténacité pour revendiquer l’indépendance et la liberté. Moustapha Kamel a dit : "Si mon cœur était transféré de gauche à droite, les pyramides déplacées de leur place fixe ou le cours du Nil changé, je n’abonderais jamais mes principes (…)." Tout ceci n’est qu’une longue introduction d’une œuvre encore plus longue. Nous avons évoqué, à plusieurs reprises, une action qui arracherait la nation de son sommeil, ferait vibrer les cordes sensibles du cœur et remuerait ce qui se cache dans les poitrines. Mais tout ceci n’est pas mis en œuvre jusqu’à présent. » (Lettre de Nasser à Al-Nachar, en date du 4 septembre 1935).

Lettre de Nasser à Hassan Al-Nachar évoquant le mouvement national mené par les étudiants pour proclamer le rétablissement de la Constitution et l’indépendance

Deux mois après et suite à la déclaration du ministre britannique des Affaires Etrangères « Samuel Hoare », en date du 9 novembre 1935, qualifiant d’inapplicable la restauration de la vie constitutionnelle en Egypte, les manifestations des étudiants et des ouvriers se sont déclenchées. Gamal Abdel Nasser a conduit une manifestation menée par des lycéens et durement réprimée par une force de la police anglaise. Il a été alors atteint par une balle qui lui a causé une éraflure au front sans pénétrer dans le crâne. Ses collègues l’ont transporté au bureau du journal Al-Jihad situé à proximité des événements ; son nom a figuré sur la liste des blessés publiée le lendemain (Revue Al-Jihad 1935).

Quant aux répercussions psychologiques de cette période sur Nasser, il a déclaré dans son discours prononcé, le 15 novembre 1952, à l’Université du Caire : « Ma blessure a laissé une cicatrice qui m’orne toujours le visage et qui me rappelle, chaque jour, le devoir patriotique qui repose sur mes épaules en tant qu’un des enfants de cette chère patrie. Aujourd’hui, la disparition du défunt Abdel Meguid Morsi, victime de l’oppression et de l’occupation, m’a fait oublier mes propres tribulations et a ancré en moi le sens d’un devoir pour lequel je suis prêt à me sacrifier ou à militer pour son accomplissement. Ce devoir est celui de libérer la nation du colonialisme et de restaurer la souveraineté du Peuple. Les martyrs qui ont continué de tomber ont consolidé ma conviction quant à l’importance de la libération de l’Egypte. »

Sous la pression populaire, notamment celle exercée par les étudiants et les ouvriers, la Constitution a été restituée par décret royal, émis le 12 décembre 1935.

Nasser se rendait, avec un groupe d’étudiants, chez les grands leaders leur demandant de travailler à l’unisson pour l’Egypte ; ce qui a abouti à la formation du Front National en 1936.

Revue Al-Jihad publiant la liste des blessés lors des manifestations de novembre

En cette période d’effervescence, Nasser a envoyé un courrier à Hassan Al-Nachar, lui disant : « Dieu, l’Exalté, dit : Et préparez [pour lutter] contre eux tout ce que vous pouvez comme force ; elle est où donc cette force que nous sommes censés préparer. La situation aujourd’hui est très critique et celle de l’Egypte est encore pire… »

Il a décrit ses émotions dans son livre La Philosophie de la Révolution en disant : « En ces jours, j’ai conduit une manifestation à l’Ecole Al-Nahda et j’ai crié du fond du cœur proclamant la pleine indépendance et les autres me répondaient en écho. Mais nos cris étaient vains et s’évanouissaient sans faire bouger les montagnes ni briser les rochers. »

Cependant l’union des hommes politiques autour d’un seul mot a été une catastrophe pour la foi de Nasser. D’après ce qu’il a écrit dans son ouvrage La Philosophie de la Révolution, cette union s’est traduite par la conclusion du Traité anglo-égyptien de 1936 qui a officialisé l’occupation. En vertu de ce traité, la Grande-Bretagne était en mesure d’établir des bases militaires en Egypte pour la défense de la Vallée du Nil et du Canal de Suez contre toute attaque ; et en cas de guerre, le territoire égyptien, y compris les ports, les aéroports et les voies routières, serait mis à son service. Par ailleurs, il édictait la persistance de la souveraineté conjointe sur le Soudan.

En conséquence aux activités politiques intenses entreprises par Gamal Abdel Nasser et recensées par les rapports policiers, l’administration de l’école Al-Nahda a décidé de l’expulser en l’inculpant d’incitation des étudiants à la révolte. Mais ses collègues ont protesté, fait la grève et menacé de mettre le feu à l’école obligeant le Directeur à revenir sur sa décision.

Dès la première manifestation à laquelle a participé Nasser à Alexandrie, la politique a envahi toute sa vie. Allant d’un parti à l’autre, il a rejoint Misr Al-Fatah (Jeune Egypte) pour deux ans, puis l’a quitté quand il a découvert son inefficacité. Il a entretenu également d’étroites relations avec les Frères Musulmans. Mais il s’est abstenu d’adhérer à aucun des groupes ou des partis existants, les considérant tous comme incompétents. « Il n’existe pas un parti idéal réunissant tous les éléments nécessaires pour réaliser les objectifs patriotiques. »

Ainsi, encore étudiant, la conscience arabe s’était emparée de lui. Tous les ans, au second jour du mois de novembre, il accompagnait ses collègues pour protester contre la « Déclaration de Balfour », en vertu de laquelle la Grande-Bretagne a octroyé aux juifs une patrie au péril des habitants légitimes de la région.

Gamal Abdel Nasser, l’Officier

Nasser, cadet de l’Académie militaire après être transféré de la Faculté de Droit

Après avoir terminé ses études secondaires et réussi le bac à la section littéraire, Nasser s’est destiné à la carrière militaire. Dépité par son expérience dans le domaine politique et par ses contacts avec les politiciens et les différents partis, il a réalisé que les beaux discours ne mèneraient pas à la libération de l’Egypte et que la force devrait être affrontée par la force et l’occupation militaire par une armée nationale.

Nasser s’est présenté à l’Académie militaire où il a passé l’examen médical. Malgré sa réussite, il n’a pas été admis pour plusieurs raisons : il était le descendant d’une famille modeste, un grand-père paysan de Beni-Mor et un père fonctionnaire et démuni ; il a participé aux manifestations de 1935 ; et il n’était pas pistonné.

Refusé à l’Académie militaire, Gamal Abdel Nasser s’est inscrit à la Faculté de Droit de l’Université du Caire pour six mois jusqu’à la conclusion du Traité de 1936. Dans l’intention d’augmenter le nombre des officiers de l’armée égyptienne, l’Académie militaire a ouvert ses portes aux cadets issus de la classe moyenne. En automne 1936, une nouvelle promotion a été ainsi admise, et le ministère de la Guerre a lancé un appel à candidatures pour une deuxième. Nasser s’est présenté donc de nouveau et a réussi cette fois-ci à rencontrer le Sous-secrétaire du Ministère de la Guerre, le général Ibrahim Khaïry, qui a apprécié sa franchise, son patriotisme et sa persévérance pour devenir officier. Sa candidature admise, Nasser a réussi ainsi à y accéder en mars 1937.

A l’Académie militaire, Nasser s’est fixé un objectif clair, celui de « devenir un officier compétent et d’acquérir les connaissances et les qualités nécessaires pour devenir leader ». Promu « chef de groupe » effectivement, la tâche de la formation des nouveaux inscrits, dont Abdel Hakim Amer, lui a été confiée au début de l’année 1938. Tout au long de ses études, aucune sanction disciplinaire ne lui a été infligée ; il a été promu étudiant-caporal.

Nasser, lieutenant

Dix-sept mois plus tard, en juillet 1938, Nasser a été diplômé de l’Académie. A cette époque, le rythme des promotions a été accéléré en vue de combler le déficit en effectif causé par l’envoi des troupes britanniques à la région du Canal de Suez.

L’Académie militaire possédait une riche bibliothèque, dont les listes de prêts ont révélé que Nasser s’était imprégné des biographies de nombreux personnages illustres tels que Napoléon, Alexandre le Grand, Garibaldi, Bismarck, Mustafa Kemal Atatürk, Hindenburg, Churchill, ou encore Foch. Il a également lu des ouvrages portant sur le Moyen-Orient et le Soudan, les problèmes que rencontraient les pays méditerranéens ainsi que l’Histoire militaire. Il en est de même pour la Première Guerre mondiale, la Guerre de Palestine et la Révolution de 1919. (Ouvrages consultés par Nasser à l’Académie militaire).

Une fois les études terminées, Nasser a intégré le corps d’infanterie et a obtenu son premier poste à Mankabad près d’Assiout, où il a rencontré Zakaria Mohieddine et Anouar El-Sadate. Son séjour dans ce village lui a permis de considérer la situation des fellahs (paysans) et leur misère sous un nouvel angle.

En 1939, à la demande de Nasser, il a été muté au Soudan où il a servi à Khartoum et à Jabal Al-Awliya (Montagne des Saints) et a rencontré Zakaria Mohieddine et Abdel Hakim Amer. Il a été promu premier lieutenant en mai 1940.

L’armée égyptienne, à cette époque, n’était pas une armée de combattants, et il était dans l’intérêt des Britanniques de la maintenir ainsi. Sauf que, par la suite, a commencé à apparaître une nouvelle catégorie d’officiers qui considéraient leur avenir dans l’armée comme faisant partie d’une lutte plus grande en vue de libérer leur peuple. Nasser est arrivé à Mankabad plein d’idéaux, mais de cruelles déceptions l’attendaient lui et ses collègues. La majorité des officiers étaient « incompétents et corrompus », ce qui l’a amené à envisager la réforme de l’armée et l’éradication de la corruption. Il a écrit à son ami, Hassan Al-Nachar, en 1941 depuis Jabal Al-Awliya : « Je t’avoue Hassan, je ne sais plus par où donner de la tête. Mon plus grand défaut est d’être un homme honnête qui déteste l’hypocrisie et ne sait ni flatter ni faire le lèche-bottes. Une personne pareille s’attire le respect de tous, sauf celui des supérieurs. Ces derniers sont offensés par ceux qui ne chantent pas leurs louanges ni en vantent les mérites. C’est de l’orgueil et eux n’ont connu que la servilité sous l’occupation. Ils veulent qu’on devienne comme eux, qu’on vive ce qu’ils ont vécu ; et gare à celui qui ose contester. Ca me peine d’avouer que cette nouvelle génération a été empreinte par l’hypocrisie de la précédente. Et ça me peine de dire que nous nous dirigeons vers un fossé où l’hypocrisie et la flatterie servile se sont répandues entre les jeunes en raison de la fréquentation des responsables. Quant à moi, j’ai résisté et je résiste encore, et c’est pourquoi je suis en perpétuelle hostilité avec ces supérieurs (…). » (Lettre inédite de Nasser à Hassan Al-Nachar en 1941).

Nasser et la garnison égyptienne au Soudan

Avec l’avancement de Rommel en direction des frontières occidentales de l’Egypte vers la fin de 1941, Nasser est rentré en Egypte où il a rejoint une troupe britannique stationnée derrière les lignes de combat près d’Al-Alamein.

Lettre de Nasser à Hassan Al-Nachar évoquant la situation de l’armée à Jabal Al-Awliya (Montagne des Saints) au Soudan

Gamal Abdel Nasser se rappelle que : « C’est à cette époque que l’idée de la révolution s’est ancrée profondément dans mon esprit. Le moyen pour la réaliser avait encore besoin d’être étudié. Je tâtonnais en cherchant ma voie pour y parvenir et déployais la majeure partie de mes efforts à rassembler un grand nombre de jeunes officiers, que j’ai sentis profondément concernés par le bien de la patrie. C’était uniquement ainsi que nous allions être capables de nous articuler autour d’un même axe, à savoir servir notre cause commune. »

C’est lors de son séjour à Al-Alamein que les événements du 4 février 1942 ont eu lieu. Alors que les chars de l’armée britannique encerclaient le Palais d’Abedine au Caire, l’ambassadeur anglais, Sir Miles Lampson, s’y est rendu pour rencontrer le roi Farouk en vue de lui adresser un ultimatum ne lui laissant le choix qu’entre la nomination de Nahas Pacha Premier ministre, en lui octroyant le droit de constituer un Conseil des ministres pro-anglais et la destitution. Le roi a accepté inconditionnellement.

Gamal Abdel Nasser affirme que tout avait changé depuis cette date. Il a écrit dans sa lettre à son ami Hassan Al-Nachar, en date du 16 février 1942 : « J’ai reçu ta lettre qui m’a mis hors de moi au point que j’ai failli exploser. Mais il n’y a plus rien à faire, le mal est fait, et on l’a accepté avec une attitude de passivité, de soumission et de résignation. Je pense qu’en réalité les Anglais n’avaient qu’une seule carte en main qu’ils ont employée pour faire pression. S’ils avaient estimé que certains égyptiens étaient prêts à verser leur sang et à s’opposer à la force par la force, ils seraient retirés comme n’importe quelle prostituée. Quant à nous, quant à l’armée, cet incident a eu de nouvelles conséquences sur la situation et a affecté l’implication des officiers. Leurs discussions ne portent plus sur les femmes et le plaisir, ils parlent actuellement de sacrifices et de mort pour la dignité.

Malgré leur impuissance apparente, les officiers sont dévorés de remords pour ne pas avoir intervenu en vue de rendre à ce pays sa dignité et le purifier avec leur sang. Certains ont essayé d’agir par vengeance, mais le temps était passé laissant les cœurs envahis par l’amertume et le chagrin. De toute façon, ce geste ou ce coup a secoué certains et leur a appris la présence de la dignité qu’ils doivent défendre. C’est une leçon, certes, mais une leçon cruelle. » (Lettre de Nasser à Hassan Al-Nachar, en date du 16 février 1942).

Lettre de Nasser à Hassan Al-Nachar déclarant sa position à l’égard des événements du 4 février 1942

Nasser a été promu capitaine, le 9 septembre 1942, et nommé professeur à l’Académie militaire, le 7 février 1943. Sur sa liste de prêts, figurent les ouvrages des grands écrivains militaires, tels Liddell Hart et Clausewitz, ainsi que les ouvrages de politiciens et d’écrivains politiques, tels Cromwell et Churchill. Il s’apprêtait à cette époque à rejoindre l’Ecole d’Etat-major.

Le 29 juin 1944, il s’est marié avec Taheya Mohamed Kazem, fille d’un ressortissant iranien, dont il a fait la connaissance par l’intermédiaire de son oncle Khalil Hussein. Ils ont eu deux filles, Hoda et Mona, et trois garçons, Khaled, Abdel Hamid et Abdel Hakim. Son épouse a joué un rôle important dans sa vie, notamment lors des préparatifs de la révolution et la formation des cellules du Mouvement des Officiers Libres. C’est elle qui a pris en charge leur petite famille – Mona et Hoda – quand il est parti pour la Guerre de Palestine. Elle l’a assisté à cacher les armes des fedayins égyptiens qu’il entraînait pour attaquer la base britannique établie dans la région du Canal en 1951-1952.

Mouvement des Officiers Libres

L’année 1945 a marqué la fin de la Deuxième Guerre mondiale et la création du Mouvement des Officiers Libres. Dans son entretien avec David Morgan, Nasser a dit : « Jusqu’en 1948, j’ai concentré mes efforts sur la formation d’une cellule de personnes éprouvant autant de contrariété que moi à l’égard des événements qui se déroulent en Egypte, des personnes ayant assez de courage et de persévérance pour effectuer le changement nécessaire. Nous étions alors un petit groupe d’amis fidèles qui essayait de mettre en œuvre ses idéaux dans un objectif et un plan communs. »

Suite à l’adoption du plan de partage de la Palestine, en septembre 1947, les Officiers Libres se sont réunis, estimant que le moment était venu pour défendre les droits des Arabes et pour lutter contre ce que nous avons considéré comme une violation, non seulement de la justice internationale mais de la dignité humaine également. Cette rencontre a débouché sur la décision de soutenir la Résistance palestinienne.

Le lendemain, Nasser a rencontré le Mufti palestinien, un réfugié accueilli par l’Egypte, et lui a proposé ses services, et ceux de son petit groupe, comme entraîneurs du groupe des volontaires et comme combattants à leurs côtés. Mais le Mufti lui a répondu qu’il ne pouvait accepter une telle offre qu’avec l’accord du gouvernement égyptien, et après quelques jours l’a déclinée. Nasser a déposé donc une demande de congé pour pouvoir rejoindre les volontaires. Avant de recevoir une réponse, le gouvernement égyptien avait officiellement déclaré sa participation à la guerre. Nasser est parti pour la Palestine, le 16 mai 1948, après avoir été nommé commandant adjoint au début de la même année.

L’expérience de la guerre palestinienne a profondément marqué Nasser. D’après lui : « On observait un manque total de coordination entre les armées arabes, l’exercice du commandement, au plus haut niveau, était quasi inexistant et nos armes se sont révélées, à maintes occasions, défectueuses. Au plus fort du combat, le corps des ingénieurs de l’armée a reçu l’ordre d’entreprendre la construction d’un chalet de détente pour le roi Farouk à Gaza. Il était clair que tout ce qui intéressait le Haut Commandement était de s’emparer de la plus grande superficie de terrain possible, indépendamment de sa valeur stratégique ou de son aptitude à influencer nos chances de gagner la bataille. J’ai été extrêmement indigné contre ces commandants de flottilles et ceux de bureaux qui ignoraient tout des champs de batailles et de l’endurance des combattants. La goutte qui a fait déborder le vase est arrivée quand j’ai été chargé de conduire le 6e bataillon d’infanterie vers le village d’Iraq Suwaydan, sujet aux attaques israéliennes. Avant même de nous mouvoir, tous les plans de déplacement étaient divulgués par la presse égyptienne. Ensuite a eu lieu le siège Falloujah, dont j’ai vécu les batailles et pendant lequel les forces égyptiennes ont continué à résister malgré la supériorité du nombre des troupes israéliennes, jusqu’à ce que l’armistice imposé par les Nations Unies a mis fin à la guerre, le 24 février 1949. »

Blessé deux fois lors des affrontements et transporté à l’hôpital, Nasser a été décoré, en 1949, de la « Médaille Militaire », en reconnaissance des services rendus pendant la guerre.

A son retour au Caire, sa conviction que la vraie bataille se déroulait en Egypte s’était consolidée. Au moment que lui et ses compagnons combattaient en Palestine, les politiciens égyptiens trafiquaient sur les fournitures de l’armée et amassé des fortunes immenses.

Il devenait impératif de concentrer les efforts pour porter un coup à la famille de Mohamed Ali ; le roi Farouk est devenu donc la cible première des Officiers Libres, depuis la fin de 1948 jusqu’en 1952.

La révolution était prévue pour 1955, mais le cours des événements en a décidé autrement.

De retour de la Palestine, Nasser a été nommé professeur à l’Ecole d’Etat-major dont il avait réussi, le 12 mai 1948, le concours avec succès. Il a profité de sa nouvelle situation pour reprendre les activités des Officiers Libres et en former le Comité exécutif sous sa direction. Comptant Kamal El-Dine Hussein, Abdel Hakim Amer, Hussein Ibrahim, Salah Salem, Abdel Latif El-Baghdadi, Khaled Mohieddine, Anouar El-Sadate, Hussein El-Chafeï, Zakaria Mohieddine et Gamal Salem, ce Comité est devenu plus tard le Conseil de la Révolution en 1950-1951.

Promu au grade de commandant, le 8 mai 1951, Nasser et ses camarades les Officiers Libres ont rejoint clandestinement la guerre des fedayins contre les troupes britanniques dans la région du Canal qui s’est prolongée jusqu’au début de l’année 1952 ; et ce en entraînant les volontaires et en leur livrant des armes. Ces efforts s’inscrivaient dans le cadre de l’appel à la lutte armée lancé par les jeunes appartenant aux différents mouvements politiques, indépendamment de toute mainmise gouvernementale.

Face à l’évolution des incidents violents qui se sont succédé au début de l’année 1952, les Officiers Libres ont adopté le concept des assassinats politiques des figures de l’ancien régime, le considérant comme l’unique solution. Hussein Serry Amer, l’un des officiers fortement impliqué dans le service des intérêts du Palais, a été le premier. Mais il a survécu à l’attentat d’assassinat qui fut le premier et le dernier auquel avait participé Nasser. Ils se sont tous ensuite mis d’accord pour renoncer à ce moyen et concentrer les efforts en vue d’un changement révolutionnaire positif.

Avec la mobilisation révolutionnaire, ont paru les tracts des Officiers Libres, imprimés et diffusés clandestinement. Ces imprimés ont appelé à la restructuration, l’armement et l’entraînement adéquat de l’armée au lieu de se limiter aux réceptions et aux spectacles. Ils ont également appelé les gouverneurs à cesser le gaspillage des fortunes du pays et à rehausser le niveau de vie des pauvres ; ils ont critiqué la commercialisation des grades et des médaillons. A cette période, le scandale des armes défectueuses a été divulgué, outre les scandales économiques entachant le gouvernement Wafdiste.

Le 26 janvier 1952 est survenu le drame de l’incendie du Caire après la vague de manifestations déclenchées suite à l’assaut anglais contre le siège de la police d’Ismaïlia, la veille, qui avait fait 46 morts et 72 blessés. Aucune disposition particulière n’a été prise par les autorités et l’armée n’a intervenu qu’en fin d’après-midi, après que le feu ait ravagé 400 bâtiments, laissant 12 000 personnes sans abri et causant des dégâts s’élevant à 22 millions de livres.

La guerre entre les Officiers Libres et le roi Farouk s’était déclarée ouvertement ; elle a été désignée ultérieurement par la crise des élections du Club des officiers de l’armée. Les Officiers Libres avaient décidé de présenter la liste de leurs candidats, avec Mohamed Néguib en tête de liste, contre Hussein Serry Amer, le candidat du roi à l’exécrable réputation, pour présider le comité exécutif du Club. Le candidat des Officiers Libres l’a remporté majoritairement, mais les élections ont été annulées par ordre personnel du roi. Il s’était avéré aux Officiers Libres que l’armée les soutenait contre le roi. Nasser, chef du Comité fondateur des Officiers Libres, a décidé ainsi d’avancer l’heure de la révolution prévenue, un an plus tôt, pour 1955. La veille du 23 juillet 1952, l’armée s’est déplacée et a occupé le bâtiment du Quartier général au Pont El-Kobba et ont arrêté les dirigeants de l’armée réunis à cet instant pour étudier l’affrontement des Officiers Libres après avoir eu vent de leur activité.

Suite à la réussite du coup d’Etat, Mohamed Néguib a été présenté en tant que le chef de la Révolution, les Officiers Libres l’avaient approché deux mois plus tôt quant à sa participation au mouvement en cas de réussite de la tentative. L’autorité effective était en main du Conseil de la Révolution, dirigé par Nasser jusqu’au 25 août 1952, date de la déclaration du décret annonçant l’enrôlement de Néguib, en vertu duquel la présidence du Conseil lui a été confiée après l’abdication de Nasser.

Communiqué de la Révolution

Au matin du 23 juillet 1952, les Officiers Libres se sont emparés de l’Office de la Radiodiffusion pour transmettre le communiqué suivant :

« L’Egypte a traversé une période critique de son Histoire récente, marquée par la subornation, la corruption et l’instabilité. Tous ces facteurs se sont largement répercutés sur l’armée menant à sa défaite lors de la Guerre de Palestine. Quant à la période post-guerre, les éléments de la corruption se sont conjugués et les complots se sont noués contre l’armée qui a été dirigée soit par un ignorant soit par un corrompu jusqu’à ce que l’Egypte est devenue sans armée pour la défendre. Nous avons ainsi purifié l’armée et des hommes dignes de confiance se sont chargés de la direction des affaires. Il est certain que toute l’Egypte accueillera cette nouvelle avec grande joie.

Quant aux officiers actuellement arrêtés, ceux-ci ont été placés en détention préventive et seront libérés au moment opportun. J’assure au peuple égyptien que toute l’armée œuvre aujourd’hui pour le bien de la Nation, conformément à la Constitution et avec un désintéressement total. Je saisie l’occasion pour vous demander d’interdire à toute personne de commettre des actes de sabotage ou de violence, qui nuiront aux intérêts du pays. Tels actes seront punis le plus sévèrement possible et leurs auteurs subiront le même châtiment qu’un traître. L’armée remplira son rôle en collaboration avec la police. Quant aux ressortissants étrangers, elle assure la sécurité des personnes, de leurs intérêts et de leurs biens et s’en porte personnellement garante. Que Dieu nous aide. »

Trois jours après, c.à.d. le 26 juillet 1952, le roi Farouk a quitté l’Egypte après avoir abdiqué en faveur de son fils ; Nasser a été réélu, le lendemain, chef du Comité fondateur des Officiers Libres.

Les Officiers Libres ont proclamé la République, le 18 juin 1953, mettant terme à la monarchie en Egypte, et nommant Mohamed Néguib Président, outre le poste de Premier ministre qu’il occupait depuis le 7 septembre 1952. Quant à Nasser, il a rempli les premières fonctions publiques en tant que vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur du gouvernement formé après la proclamation de la République. Le mois suivant, Nasser a démissionné de son poste de ministre de l’Intérieur, succédé par Zakaria Mohieddine, et a maintenu le poste de vice-Premier ministre. (Décret du Conseil abolissant la monarchie).

Décret du Conseil abolissant la monarchie

Nomination de Gamal Abdel Nasser Chef du Conseil de la Révolution

Suite aux différends opposant les membres du Conseil de la Révolution et Mohamed Néguib, ce dernier s’est démis, en février 1954, de son poste de Président du Conseil. Nasser l’a alors succédé, cumulant les postes de Président du Conseil de la Révolution et de Premier ministre. Ce qui suit est le communiqué concernant ce différend, diffusé le 25 février 1954, par le Conseil :

« Citoyens,

La Révolution menée par l’armée, le 23 juillet 1952, n’a jamais eu comme objectif de faire accéder une personne ou un groupe de personnes au pouvoir ou de leur attribuer un quelconque bénéfice ou privilège. Que Dieu témoigne qu’elle n’a eu lieu que pour ancrer les valeurs d’idéalisme dans ce pays après s’être amenuisées en raison de longues époques de corruption et de décadence.

Nombreux sont les obstacles qu’a rencontrés cette Révolution dès les tous premiers instants et qui ont été traités avec fermeté, sans tenir compte des intérêts des individus ou des groupes, consolidant ainsi ses principes fondamentaux et la propulsant vers l’atteinte de ses objectifs.

Vous reconnaissez sans doute la gravité des obstacles dressés devant la Nation, notamment avec une partie de son territoire sous l’occupation coloniale. Sévérité et gravité ont caractérisé la mission du Conseil de la Révolution à cette période, une responsabilité dont ses membres se sont dignement acquittés avec un seul but, celui de conduire, coûte que coûte, notre chère nation vers les rives sereines de la stabilité.

Ce qui a accentué la sévérité et la gravité de la charge qui leur incombait c’est qu’en préparant et en organisant clandestinement la révolution, les membres du Conseil, qui se caractérisent tous par leur jeune âge, avaient décidé de présenter au peuple un Leader en dehors d’eux. Leur choix s’est arrêté sur le général Mohamed Néguib qui jouissait, contrairement aux généraux de cette ère, d’une bonne réputation et était connu pour son incorruptibilité.

Deux mois avant la révolution, ils lui ont communiqué leur choix et il l’a accepté. Suite à un appel téléphonique de la part du ministre de la Guerre de l’époque, M. Mortada El-Maraghi, lui annonçant l’éclatement de la Révolution, il s’est dirigé au Quartier général et s’est réuni avec les membres du Conseil après leur prise du pouvoir.

La situation s’est compliquée depuis lors. Le général Mohamed Néguib n’a rejoint le Conseil qu’un mois après la Révolution, et plus précisément en date du 25 août 1952. Au cours de ce mois, le Conseil avait entrepris ses travaux et discussions en son absence.

Il a été émis ce jour-là un décret annonçant son enrôlement ainsi que sa nomination Président du Conseil après l’abdication du lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser, qui avait été réélu, avant la révolution, Président du Conseil pour un an prenant fin en octobre 1952.

Toutefois, refusant d’accepter cette situation anormale, le général Néguib a longtemps souffert ; et cela s’est répercuté sur nous tous malgré nos efforts à le présenter au monde entier en tant que le vrai Président et le vrai leader de cette Révolution et de son Conseil, tout en veillant à tous les aspects de ce leadership.

En moins de six mois, il a commencé à exiger, d’un temps à autre, qu’on lui octroie des pouvoirs supérieurs à ceux des membres du Conseil. Ce dernier a carrément refusé de transgresser son règlement établi des années avant le déroulement de la révolution et impliquant l’égalité de tous ses membres dans les pouvoirs, y compris le Président. En cas d’égalité de votes de deux groupes opposants au sein du Conseil, la voix du président est prépondérante.

Bien qu’il ait été nommé Président de la République, tout en maintenant la présidence du Conseil des ministres et du colloque commun, il a continué à exiger, de temps à autre, des autorités supérieures aux celles du Conseil. Nous avons insisté sur le refus total pour garantir la répartition du pouvoir sur la totalité des membres.

Finalement, il a présenté des demandes précises, dont :

Le droit de veto aux décisions prises par les membres du Conseil, sachant que le règlement prescrit l’adoption de toute décision prise par consensus.

Il a également demandé de disposer du pouvoir de nommer et démettre les ministres, ainsi que du pouvoir d’approuver la promotion, la démission et l’affectation des officiers. En gros, il a exigé une autorité absolue.

Nous avons essayé par tous les moyens au cours des 10 mois passés de le faire revenir sur ses demandes qui ramènent le pays vers un régime autoritaire, ce que nous n’accepterons jamais pour notre révolution. En vain, ses retraites se sont succédé en vue de nous obliger à accepter ses demandes. Il y a trois jours, il nous a mis devant le fait accompli quand il a déposé sa démission tout en sachant que tout schisme ayant lieu au sein du Conseil pourrait avoir des conséquences graves.

Dissolution de la confrérie des Frères Musulmans

Citoyens,

Les membres du Conseil ont enduré cette pression perpétuelle au moment où le pays était confronté à de sérieux problèmes hérités des ères révolues.

Tout cela s’est produit alors que le pays se démenait contre un usurpateur en Egypte et au Soudan et contre un ennemi redouté stationné aux frontières ; outre le combat économique acharné, la réforme de la gouvernance et l’augmentation de la production, etc. dans lesquels il s’était engagé et a réussi à s’affirmer dans plus d’un domaine.

Aujourd’hui, le Conseil a décidé à l’unanimité ce qui suit :

Premièrement : l’acceptation de la démission du général Mohamed Néguib de toutes les fonctions qu’il occupe.

Deuxièmement : le Conseil de la Révolution assumera, sous la présidence du lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser, toutes ses responsabilités actuelles jusqu’à l’atteinte de l’objectif majeur de la Révolution, à savoir l’évacuation de la patrie du colonisateur.

Autorisation de la création des partis politiques

Troisièmement : La nomination du lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser Premier ministre.

Cela revient à dire que cette révolution se poursuivra, fidèle à ses idéaux, malgré les difficultés et les entraves qu’elle confrontera. Que Dieu nous aide. »

Les aspects de ce conflit ont été bientôt gérés et le Conseil a accepté le retour de Mohamed Néguib à la présidence de la République dans un communiqué prononcé le 27 février 1954.

Ont eu lieu ensuite les intrigues conduites par la confrérie des Frères Musulmans, dissoute, le 14 janvier 1954, par le Conseil de la Révolution (Décret de la dissolution des Frères Musulmans). Certains acteurs, appartenant à l’ancien régime, se sont également impliqués dans ces événements.

Le conflit au sein du Conseil de la Révolution s’est largement manifesté à cette période par les décisions qu’il a émises et qui impliquaient l’abandon de la révolution. Premièrement, la période transitoire de trois ans prévue a été annulée ; il avait été convenu, le 5 mars 1954, de prendre les mesures nécessaires pour l’élection immédiate d’une Assemblée constituante au scrutin général direct, sous réserve qu’elle se réunisse en juillet 1954 pour discuter du projet de constitution et l’approuver. Elle exercera l’autorité du Parlement jusqu’à la formation d’un nouveau en conformité avec les dispositions de la nouvelle constitution. En même temps, il a été décidé la levée des lois martiales et l’imposition de la censure sur la presse et la publication.

Deuxièmement, le Conseil de la Révolution a décidé de nommer Mohamed Néguib président du Conseil et Premier ministre après l’abdication de Nasser qui a récupéré le poste de vice-président du Conseil.

Report de la mise en œuvre des résolutions prises par le Conseil le 25 mars 1954

Finalement, le Conseil a permis, le 25 mars 1954, la création des partis et la dissolution du Conseil de la Révolution le 24 juillet 1954, le jour même de l’élection de l’Assemblée constituante. (Décret permettant la création des partis).

Bien que le Conseil de la Révolution soit revenu sur ces décisions, le 29 mars 1954 (Décret du Conseil différant la mise en œuvre des résolutions du 25 mars 1954), le conflit qui a eu lieu au sein du Conseil a provoqué un schisme déchirant ses membres : Mohamed Néguib soutenu par Khaled Mohieddine, d’une part, et Gamal Abdel Nasser par les autres membres, d’autre part.

Ce conflit se répercutant sur l’armée, les hommes politiques, notamment les Frères Musulmans et les partisans des anciens partis toujours en contact avec Néguib et le soutenant, ont essayé d’en tirer profit.

Le 17 avril 1954, Nasser a été nommé Premier ministre et le rôle de Mohamed Néguib s’est limité à la présidence de la République, jusqu’à l’attentat d’assassinat manqué par les Frères Musulmans contre Gamal Abdel Nasser lors de la prononciation de son discours à Manshia, le 26 octobre 1954. Les investigations ont prouvé que les Frères Musulmans étaient en contact avec Mohamed Néguib qui avait projeté de les soutenir s’ils arrivaient à renverser le régime. C’est alors que le Conseil de la Révolution a décidé, le 14 novembre 1954, de démettre Mohamed Néguib de toutes ses fonctions, le poste de Président de la République est resté vacant et le Conseil de la Révolution a continué à assurer toutes ses responsabilités sous la direction de Gamal Abdel Nasser.

Démission du général Mohamed Néguib de toutes ses fonctions

Gamal Abdel Nasser a été élu, le 24 juin 1956, Président de la République par plébiscite, conformément à la Constitution du 16 janvier 1956 - première Constitution de la Révolution - ; puis Président de la République Arabe Unie, le 22 février 1958, après la déclaration de l’Union égypto-syrienne et jusqu’à sa sécession, le 28 septembre 1961, suite à un coup d’Etat militaire.

Nasser est resté au pouvoir jusqu’à sa mort le 28 septembre 1970.